Tuesday, December 30, 2008

Prologue : le livre




Messieurs, vous avez entendu de nombreux contes




Gentlemen, you have heard many tales
que beaucoup de conteurs vous ont racontés,
comment Pâris enleva Hélène,
les souffrances et la peine qu'il en eut,
l'histoire de Tristan que la Chèvre a écrite
qui est assez joliment racontée,
et des fables et des chansons de geste,
des romans sur lui et sa lignée,
et beaucoup d'autres contes par nos contrées.
Mais vous n'avez jamais entendu parler de la guerre
qui fut extrêmement dure
entre Renart et Ysengrin,
qui dura tant et fut si acharnée.
Ces deux seigneurs, c'est la pure vérité,
ne s'aimèrent jamais,
il a eu maintes querelles et maintes batailles
entre eux, c'est la vérité.
Je vais maintenant commencer l'histoire
de leur tapage et de leur dispute.
Vous allez entendre à présent le début,
le pourquoi et par quelle embrouille
il y a eu entre eux deux un manque de confiance.
Écoutez donc si cela ne vous ennuie pas,
je vais vous raconter pour le plaisir,
comment ils apparurent,
ainsi que je l'ai appris en lisant,
qui furent Renart et Ysengrin.
J'ai trouvé jadis dans un reliquaire
un livre, qui avait pour nom Aucupre.
Je trouvais là de nombreux récits
sur Renart, et d'autres choses
dont on doit bien parler, et j'ose.
A coté d'une grande lettre vermillon
je trouvais là maintes merveilles.
Si je ne l'avais pas trouvé dans le livre,
j'aurais tenu pour ivre
quiconque aurait dit une telle aventure;
mais on doit croire les écritures.
C'est à bon droit qu'il meurt de honte,
celui qui n'aime pas les livres ni ne les croit.


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that many storytellers have told you:
how Paris ravished Helen,
the suffering and the pain he felt,
the story of Tristan written by la Chèvre,
which is quite beautifully told,
and fables and epic poems,
tales on him and his lineage;
and many other stories from our lands.
But you've never heard of the war
which was extremely hard
between Reynard and Isengrim,
which lasted so long and was so fierce.
These two lords, this is the pure truth,
never liked each other,
there has been many quarrels and fights
between them, this is the reality.
I will now begin the story of
their clash and their dispute.
You will now hear the beginning,
why and after which sad situation
there has been a lack of confidence between them.
So listen, if it does not bother you.
I will tell you, for your pleasure,
how they came to life,
as I learned by reading,
who were Reynard and Isengrim.
I once found in a reliquary
a book, which was named Aucupre.
I found there many stories
on Reynard and other things
that we must speak of, and I dare.
Next to a large vermilion letter
I found there many wonders.
If I had not found that in the book,
I would have called anyone drunk
anyone who would have told such an adventure;
but we must believe the scriptures.
One who does not like books nor believe them
only deserves to die of shame.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

1-22 : Méon 1-22, Martin II 1-22, FHS 1-22
23-40 : Méon 23-40, Martin XXIV 1-18, FHS 23-40
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Prologue


Gentlemen, you have heard many tales, that many storytellers have told you: how Paris stole Helen, the suffering and the pain he felt, the story of Tristan written by la Chèvre, which is rather well told, and fables and epic poems, tales on Him and his lineage; and many other stories in this land.eigneurs, oï avez maint conte
Que maint conteres vos aconte,
Conment Paris ravi Helayne,
Les maux qu'il en ot et la paine,
De Tristram qui La Chievre fist,
Qui assez belement en dist
Et fables et chançons de geste,
Romanz de lui et de sa geste;
Maint autre conte par la terre.
But never have you heard about the war that has been really harsh between Reynard and Isengrim; which lasted so long and was so hard. Those two barons, that is the pure truth, never liked each other. There has been many quarrels and many battles between them, that is the real truth. es onques n'oïstes la guerre,
Qui mout fu dure de grant fin,
Entre Renart et Ysengrin,
Qui mout dura et mout fu dure.
Des .II. barons, ce est la pure,
Onques ne s'entramerent jor.
Mainte mellee et maint estor
Ot entr'eus .II., ce est la voire.
I will now begin the story of their clash and dispute. You will now hear why and by which sad situation, there was a lack of trust between the two from the very beginning. So listen, if it does not bother you. I will tell you, for pleasure, how they appeared, and as I learned by reading, who were Reynard and Isengrim.
es or conmenceré l'estoire
Et de la noise et del content.
Or orrez le conmencement
Par qoi et par quel mesetance
Fu entre eus .II. la desfiance.
Or oez, si ne vos anuit.
Je vos conteré par deduit
Conment il vindrent en avant,
Si con je l'ai trouvé lisant,
Qui fu Renart et Ysengrin.
I once found in a reliquary, a book that was called Aucupre. I found there many stories about Reynard and other things that we must dare to speak. Besides a large vermilion letter, I found there many wonders.
e trovai ja en .I. escrin
.I. livre : Aucupre avoit non.
La trovai je mainte reson
Et de Renart et d'autre chose
Dont l'en doit bien parler et ose.
A une grant letre vremeille,
La trovai je mainte merveille.
If I had not found it in the book, I would have called anyone drunk who would have told such an adventure, but we must believe the scriptures. Dying of shame is just right for those who do not like books nor believe them.
e je ne la trovasse el livre,
Je tenisse celui por yvre
Qui dite eüst tele aventure,
Mes l'en doit croire l'escripture.
A desenor muert a bon droit
Qui n'ainme livre ne ne croit.
Reynard's childhood deeds
Prologue
Les enfances Renart (FHS 1)
Prologue (Martin IIa)

Monday, December 29, 2008

Prologue : la naissance d'Ysengrin




Aucupre dit dans son récit




ucupre dist en cele letre
(qu'il soit béni de Dieu celui qui lui a fait mettre !)
comment Dieu chasse hors du paradis
Adam et Ève
parce qu'ils ont transgressé
ce qu'il leur a ordonné.
Il les prend alors en pitié, et leurs donne
une verge. Puis il leurs explique
que lorsqu'ils auront besoin de quelque chose,
ils devront frapper dans la mer avec la verge.
Adam tient la verge dans sa main,
et frappe dans la mer devant Ève.
Aussitôt après avoir frapper dans la mer,
une brebis en jaillit.
Adam dit alors : « Madame, prenez
cette brebis, puis gardez la;
elle vous donnera beaucoup de lait et de fromage.
Nous en tirerons de la nourriture à suffisance. »
Ève pense au fond du cœur
que si elle en avait encore une,
plus belle serait la compagnie.
Elle saisit aussitôt la verge,
et frappe violemment dans la mer :
un loup en jaillit qui prend la brebis,
et s'en va en fuyant à grand train
et grand galop dans le bois.
Quand Ève voit qu'elle a perdu
sa brebis et qu'elle ne peut être secourue,
elle se lamente et crie très fort : « Ha ! Ha ! »
Adam reprend la verge,
il frappe de colère dans la mer :
un chien en jaillit hâtivement.
Quand il voit le loup, il court à bride abattue
vers la brebis qu'il veut délivrer.
Il la réclame : avec beaucoup de mauvaise grâce
le loup lui laisse là la brebis;
mais il ferait bien de même demain
s'il la tenait en un bois ou une plaine.
Puisque le loup a perdu,
il s'enfuit dans le bois tout honteux.


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(Bien ait de Diex qui l'i fist metre !)
Come Diex ot de paradis
Et Adam et Evain fors mis
Por ce qu'il orent trespassé
Ce qu'il lor avoit conmandé.
Pitiez l'en prist, si lor dona
Une verge, si lor mostra
Qant il de riens mestier auroient,
De cele verge en mer ferroient.
Adam tint la verge en sa main,
En mer feri devant Evain :
Sitost con en la mer feri,
Une brebiz fors en sailli.
Lors dist Adam, dame, prenez
Ceste brebiz, si la gardez;
Tant vos donra let et fromage.
Assez i aurons compenage.
Evain en son cuer porpensoit
Que s'ele encor une en avoit,
Plus bele estroit la conpaignie.
Ele a la verge tost saisie,
En la mer feri roidement :
Un leus en saut, la brebiz prent,
Grant aleüre et grant galos
S'en va li leus fuiant au bos.
Qant Eve vit qu'ele a perdue
Sa brebiz, s'ele n'a aïue,
Bret et crie forment, ha ! ha !
Adam la verge reprise a,
En la mer fiert par mautalent,
Un chien en saut hastivement.
Quant vit le Leu, si lesse corre
Por la brebiz qu'il velt rescorre.
Il li resquest : moult a enviz
La laisse li leus la brebiz;
Si feroit il encor demain
S'il la tenoit a bois n'a plain.
Por ce que mesfet ot li leus,
Au bois s'en foui tot honteus.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

41-80 : Méon 41-80, Martin XXIV 19-58, FHS 41-80
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Sunday, December 28, 2008

Prologue : la naissance de Renart



Adam a son chien et sa bête,



dam ot son chien et sa beste,
il en ressent grand bonheur et grand plaisir.
Selon l'opinion exprimée dans le livre,
ses deux bêtes ne peuvent pas du tout vivre
ni résister longtemps,
si elles ne sont pas avec des hommes.
Vous ne sauriez imaginer de bête
qui puisse s'en priver d'avantage.
Chaque fois qu'Adam frappe
dans la mer, et qu'une bête en sort,
ils gardent cette bête,
quelle qu'elle soit, et ils l'apprivoisent.
Celles qu'Ève en fait sortir,
ils ne peuvent jamais les retenir;
aussitôt qu'elles sortent de la mer,
elles vont dans le bois à la suite du loup.
Celles d'Ève deviennent sauvages,
et celles d'Adam s'apprivoisent.
Entre autres en sort
le goupil, qui devient sauvage.
Il a le poil roux comme Renart,
il est très habile et âpre au gain :
par son intelligence il trompe
toutes les bêtes, autant qu'il en trouvent.
Ce goupil là signifie pour nous
Renart, celui qui sait tant de sciences.
Tous ceux qui sont portés sur la ruse et la malice
sont désormais tous appelés Renart,
à cause de Renart et à cause de goupil.
Celui-ci et celui-là en connaissent énormément;
si Renart sait se jouer des gens,
le goupil sait tromper les bêtes.
Vraiment, ils sont bien de la même race
avec les mêmes mœurs et les mêmes désirs.


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Si en ot grant joie et grant feste.
Selonc la sentence del livre
Ces deus bestes ne puent vivre
Ne durer mie longement,
S'eles n'estoient avec gent.
Ne savez beste porpenser
Miex ne s'en puisse consievrer.
Toutes les foiz c'Adam feri
En la mer, que beste en issi,
Cele beste si retenoient,
Quele que fust, et aprivoient.
Celes que Eve en fist issir,
Ne pot il onques retenir;
Sitost con de la mer issoient,
Apres le Leu au bois aloient.
Les Evain asauvagisoient,
Et les Adam aprivoisoient.
Entre les autres en issi
Le gorpil, si asauvagi :
Rous ot le poil conme Renart,
Moult par fu cointes et gaingnart :
Par son sens toutes decevoit
Les bestes qanqu'il en trovoit.
Icil gorpil nos senefie
Renart qui tant sot de mestrie :
Touz ceus qui sont d'engin et d'art
Sont mes tuit apelé Renart.
Por Renart et por le gorpil
Moult par sorent et cil et cil.
Se Renart set gens conchier;
Le gorpil bestes engingnier.
Moult par furent bien d'un lignage
Et d'unes meurs et d'un corage.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

81-114 : Méon 81-114, Martin XXIV 59-92, FHS 81-114
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Saturday, December 27, 2008

Prologue : Renart et Ysengrin, parents et amis




Tout pareillement, Ysengrin est d'autre part




ot ensement de l'autre part
l'oncle de Renart :
le loup fait du goupil son neveu,
et le goupil du loup son oncle.
Ainsi comme je vous le dis,
ils sont entre eux parents et amis;
ils ne sont proches d'aucune autre manière,
si mon bon livre ne me ment point.
Parce que le goupil dit,
quand il va avec le loup :
« Bel oncle, que voulez-vous faire ? »,
il veut gagner son amour.
Le loup parle très amicalement
au goupil, à l'égard de qui il n'a aucune haine.
Par amitié, ils s'appellent
oncle et neveu quand ils se voient.
On peut facilement comprendre de Renart
la grande intelligence, à qui veut bien l'entendre;
or ce Renart représente pour nous,
ceux qui sont plein de mauvaise vie,
qui n'arrêtent pas de chercher
comment ils peuvent tromper autrui.
Mais le félon ne sera pas content
le jour où il ne trompera pas autrui.
Ils sont égaux devant le trompeur :
intimes, étrangers, et amis.
Il n'en épargnera jamais un seul,
même un ami très cher ne le sera pas.
En plus de cette félonie
il a le cœur tout plein d'envie,
et l'envie est cette racine
d'où tous les maux prennent leur origine.
Avec la félonie et l'envie
la pingrerie est leur amie,
et la pingrerie est cette chose
que d'avoir toujours la bourse close.
La pingrerie est un vice
qui aime beaucoup l'avarice.
L'avarice s'est emparée du monde par surprise,
on est déclaré pauvre malheureux,
si on n'a pas de rente, si on ne prête pas à usure.
Mais j'ai dépassé la mesure,
car c'est ceux qui ont de grandes rentes,
qui causent de grands maux.
On peut en parler d'avantage avec mépris,
mais je prendrais soin de n'en conter plus.
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Ysengrin li oncles Renart,
Le leu fet du gorpil neveu,
Et le gorpil oncle du leu.
Si faitement con je vos di,
Sont entre eus parent et ami;
Ne s'apartienent autrement
Se mes bons livres ne me ment,
Por ce que le gorpil disoit,
Qant il avec le leu aloit,
Biaus oncles, que volez vos fere ?
Le voloit a s'amor atrere.
Li leus disoit par amor fine
Au gorpil vers qui n'ot haïne,
Par amitié s'entr'apeloient
Oncle et neveu qant se veoient.
A Renart puet on bien aprendre
Grant sens qui bien i velt entendre :
Car cil Renart nos senefie
Ceus qui sont plain de male vie,
Qui ne finent del agaitier
Con puissent autrui engingnier;
Ne ja le fel liez ne sera
Le jor q'autrui n'engingnera.
A l'engingnier li sont honi
Privé, estrange et ami :
Ja un sol n'en espargnera,
Ja si chier ami ne sera.
Et avec cele felonie
A il le cuer tot plain d'envie,
Et envie est cele racine
Ou touz li max prenent orine.
Avec felonie et envie
Escharsetez est lor amie,
Et escharsetez est tel chose
Que tout jors a la borse close.
Escharsetez est une vice
Qui forment aime avarice :
Avarice a le mont sorpris,
Cil est clamez dolent chaitis,
Se rente n'a, se il n'usure.
Or ai passé outre mesure,
Que cil qui les granz rentes ont,
Ce sont cil qui grant mal en font;
Moult en puet l'en vilment parler,
Mes je n'ai soing de plus conter.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

115-116 : Méon 115-116, Martin XXIV 93-94, FHS 115-116
ignorés : Méon 117-156
117-160 : Méon 157-200, Martin XXIV 135-178, FHS 117-160
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Friday, December 26, 2008

Prologue : Balaam et son ânesse



Je veux vous raconter quelque chose.



ne riens vos voil conmencier,
Vous ne devez pas vous étonnez
si j'ai mis dans mon récit
que j'ai commencé sur Renart,
des propos sur d'autres personnes,
comme vous pouvez entendre là
au sujet de maître Renart et Ysengrin.
Nos voisins racontent en effet
qu'une ânesse qu'un prophète montait,
parlait jadis.
Je les ai entendu l'appelé Balaam,
c'est pourquoi je sais le nommer ici.
Bellaac, un roi, l'avait poussé
tant il lui avait promis et donné,
à maudire tout le peuple d'Israël
avec grand courroux et colère.
Notre Seigneur ne voulait pas le permettre,
il fit venir son ange au devant.
Avec son épée bien tranchante
il barra le chemin à celui-ci.
Le prophète piqua l'âne avec son aiguillon
par derrière sur la croupe,
il le forçait avec ses éperons,
et le frappait avec son licol.
L'âne n'osait pas avancer,
à force il finit par parler,
car Dieu voulait qu'il parle,
et il dit au prophète :
« Allez, fait-il, laisse moi tranquille,
Dieu ne me laisse pas avancer. »
Ce même Dieu, ainsi qu'il lui passe par l'esprit,
peut bien à cette heure accorder
aux bêtes sauvages de parler,
et rendre les usuriers généreux.


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Ne vos devez esmerveillier
Se j'ai mis en cest mien traitié
Que de Renart ai commencié,
Si con l'en parole d'autrui,
Con vos porroiz oïr encui
De dant Renart et d'Ysengrin,
Car ce content nostre voisin
Que une anesse parla ja
Que un prophete chevaucha :
Balaam l'oï apeler,
Por ce le sai ici nomer.
Bellaac un roi l'ot mené,
Tant li ot pramis et doné
Par mautalent et par grant ire,
Tout le pueple Israel maudire.
Nostre sire nel volt soufrir,
Son ange fist devant venir,
A une bien tranchant espee
La voie a a celui veee.
Cil point l'asne del aguillon
Par derriere sor le crespon,
Des esperons le destraingnoit,
Et du chevestre le feroit.
L'asne n'osoit avant aler,
Par force le covint parler,
Et Diex le volt qu'ele parla,
Et le prophete raconta :
Diva ! fait il, lesse m'ester,
Diex ne me lesse avant aler.
Cil Diex si li vient a plaisir,
Puet encore bien consentir
A parler les bestes sauvages,
Et les usuriers fere larges.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

161-194 : Méon 201-234, Martin XXIV 179-212, FHS 161-194
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Thursday, December 25, 2008

Les jambons d'Ysengrin : le conseil de Renart



Vous avez donc bien entendu jusque là



r avez bien oï a tant
comment sont apparus
Renart et Ysengrin le loup,
vous allez entendre à nouveau parler d'eux.
Je vais vous raconter une tranche de leur vie,
ce que j'en connais.
Tout malade et plein de boutons,
Renart arrive un jour chez son oncle.
Ysengrin dit : « Renart, qu'as-tu ?
Je te vois là tout bouleversé. »
Renart dit à celui-ci : « Je suis malade.
— Vraiment, cher neveu, as-tu mangé aujourd'hui ?
— Non, seigneur, je n'ai pas envie.
— Levez vous, dame Hersent,
faites lui un petit rôti
avec deux rognons et une rate. »
Renart s'assoit tout courbé,
et se dit que son oncle a fait des jambons.
Il lève un peu la tête,
et voit trois jambons pendre à la poutre.
Il dit en souriant aux jambons :
« Il est complètement fou celui qui vous a mis là.
Hé ! Cher oncle Ysengrin,
il y a maintenant tant de mauvais voisins.
Celui qui peut voir là vos jambons
voudra en avoir sa part !
Détachez les vite,
dites qu'on vous les a dérobés. »
Ysengrin dit : « Il n'en goûtera pas
celui qui les verra quand je les cuis. »
Alors, Renart se mit à rire :
« Vous ne pourrez, dit-il, refuser
à quiconque pourrait vous en réclamer. »
Ysengrin dit : « Arrête avec ça,
je n'ai ni frère, ni neveu, ni nièce
à qui j'en donnerais un morceau. »
Il le dit pour lui, pour son père,
pour sa femme, et pour sa mère.
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Conment il sont venu avant
Renart et Ysengrin li leus,
Or redevez oïr des deus,
Je vos conteré de lor vie
Ce que j'en sai une partie.
Toz malades plain de raoncle
Vint Renart un jor chiés son oncle :
Dist Ysengrin, Renart, q'as tu ?
Moult te voi ore confondu.
Ce dist Renart, malades sui.
Voire, biau niez, menjas tu hui ?
Nenil, sire, n'en ai talent.
Levez vos sus, dame Hersent,
Fetes li un petit de haste
De deus roignons et d'une rate.
Renart se seoit toz enbrons,
Pensoit qu'il avoit fet bacons :
Un petitet leva la teste,
Troi bacons vit pendre a la feste;
En sorriant as bacons dist,
Moult par est fox qui la vos mist.
Haï ! biax oncles Ysengrin,
Ja sont il tant malvez voisin,
Tiex puet la voz bacons veoir
Qui en voudra sa part avoir.
Isnelement les despendez,
Dites qu'en les vos a emblez,
Dist Ysengrin, n'en goustera
Tiex, con je cuit, qui les verra,
Dont conmença Renart a rire.
Nel porrez, dist il, escondire,
Tiex hons vos en porroit rover.
Dist Ysengrin, lessiez ester,
Je n'ai frere, neveu ne niece
Qui j'en donasse une piece;
Por lui le dist et por son pere,
Et por sa fame et por sa mere.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

195-232 : Méon 235-272, Martin XXIV 213-250, FHS 195-232
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Wednesday, December 24, 2008

Les jambons d'Ysengrin : le vol des jambons




Il ne passe pas longtemps




e demora mie granment
avant que Renart vienne tout doucement
dans sa maison quand il est en train de dormir;
il la découvre sous le faîte.
Par sa grande force et les assauts de tout son corps,
il en fait sortir les trois jambons à l'extérieur.
Il les emporte dans sa maison,
puis les découpe en morceaux,
et les met à l'intérieur de son lit dans la paille.
Ysengrin se lève de bon matin;
il voit sa maison découverte
et constate la perte de ses trois jambons :
« Aïe !, dit-il, dame Hersent,
on s'est joué de nous outrageusement. »
Elle saute sur ses pattes comme une folle,
toute nue et décoiffée.
« Dieu, dit-elle, qui a fait ça ?
C'est là un dommage insensé et horrible. »
Il ne savent sur qui faire porter les soupçons,
il ne reste plus à tous deux qu'à se mettre en colère.
Quand il a fini de manger,
Renart s'en va tout joyeusement
se distraire dans leur maison.
Il trouve son oncle tout triste :
« Oncle, dit-il, qu'avez vous ?
Je vous vois pensif et irrité.
— Cher neveu, dit-il, il y a bien de quoi.
Mes jambons sont perdus, tous les trois,
j'en ai le cœur plein de douleur et de colère. »
— Oncle, dit-il, vous devez l'annoncer maintenant.
Si vous dites le long de la rue
que vous avez perdu cette viande,
après ni parent, ni ami, ni amie
ne vous en réclamera jamais.
— Cher neveu, fait-il, je te le dis pour de vrai,
je les ai perdus, et ça me pèse. »
Renart répond : « Je n'ai rien entendu de tel avant,
celui qui se plaint mais n'a pas du tout mal.
Je sais bien que vous les avez mis en lieu sûr
par crainte de vos parents et amis.
— Dis donc, fait-il, tu te moques ?
Par la foi que tu dois à l'âme de ton père,
tu ne crois donc pas ce que je dis ?
— Racontez quand même, dit Renart, continuez ainsi.
— Renart, lui dit dame Hersent,
Je pense que vous n'êtes pas sensé;
si on ne les avait pas perdus,
jamais on n'en refuserait, fût-ce à un moine.
— Dame, dit-il, je le sais bien
que vous avez beaucoup de malice et de ruse.
D'ailleurs, tellement il y a perte,
vous avez même découvert votre maison,
dites maintenant qu'ils sont sortis par là.
— Par Dieu, Renart, les faits sont ainsi. »
Renart répond : « C'est ce que vous devez dire.
— Renart, je n'ai pas envie de rire;
ça me pèse qu'ils soient perdus,
nous avons eu là un grand dommage. »
Là-dessus Renart s'en va Renart joyeux,
et ceux-là se remettent à se plaindre.
Ce fut un des exploits de jeunesse de Renart.
Depuis, il a tant appris en ruse et en malice,
qu'il a causer bien des ennuis,
et à son oncle et à autrui.


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Que Renart vint tot coiement
En sa meson qant il dormi,
Sus el feste la descovri
Par tel vertu assaut ses cors,
Les trois bacons en gita fors;
En sa meson les enporta,
Et par pieces les despeça,
En son lit les mist en l'estrain.
Ysengrin est levez bien main,
Il vit sa meson descoverte
Et de ses troi bacons la perte :
Ahi ! dist il, dame Hersent,
Conchié somes laidement.
Ele saut sus conme desvee
Toute nue et eschevelee;
Diex ! dist ele, qui a ce fait ?
Ci a estout, domage et lait.
Ne le sevent sor qui souchier,
N'a entre eus deus que corocier.
Conme ce vint apres mengier,
Renart s'en vint esbanoier
En la meson moult lieement,
Son oncle trove moult dolent.
Oncle, dist il, que avez vos ?
Pensis vos voi et corouços.
Biaus niez, dist il, bien sai de qoi,
Perdu sont mi bacon tuit troi,
S'en ai au cuer dolor et ire.
Oncle, dist il, or devez dire,
Se vos dites aval la rue,
Que cele char aiez perdue,
Puis ne vos en rovera mie
Parent ne ami ne amie.
Biax niez, fet il, por voir te di,
Perdu les ai, ce poise mi.
Renart respont, ainz n'oï tal,
Tiex se plaint n'a mie de mal :
Bien sai qu'en sauf les avez mis
Por voz parenz, por voz amis.
Diva ! fet il, es tu gabere ?
Foi que tu doiz l'ame ton pere,
Et ne croiz tu ce que je di ?
Toz tens dites, dist Renart, si.
Renart, ce dist dame Hersens,
Je cuit vos estes fors du sens;
Se nos nes eüssions perduz,
Ja escondit n'en fust renduz.
Dame, dist il, je le sai bien
Que moult savez d'art et d'engien;
Nequedent tant i a de perte,
Vo meson avez descoverte,
Or dites par la en sont tret.
Par Dieu, Renart, si sont il fet.
Renart respont, ce devez dire.
Renart, n'en ai talent de rire;
Ce poise moi qu'il sont perdu,
Grant domage i avon eü.
Atant s'en va Renart joianz,
Et cil remestrent tuit dolenz :
Ce fu des enfances Renart.
Tant aprist puis d'engin et d'art,
Que il en fist puis maint anui
Et a son oncle et a autrui.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

233-296 : Méon 273-336, Martin XXIV 251-314, FHS 233-296
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Tuesday, December 23, 2008

Renart et Hersent : la rencontre




Là-dessus se termine cette affaire,




il plet fu atant definez,
Renart prend alors la route,
et s'en va en coupant à travers bois.
Par monts et par vaux,
Renart s'en va par petits bonds.
Il a bien confondu ses amis
car il est tout à fait hors de cause pour les jambons.
Il s'en va fuyant tout librement
sans jamais s'arrêter, et tellement il s'écarte
du chemin, qu'il se précipite dans une haie
au-dessus d'un trou obscur.
Il lui arrive alors une aventure
d'où il n'eut qu'ennuis et tourments,
car c'est là que commence la querelle
contre le connétable Ysengrin,
à cause d'un terrible péché digne du diable.
Quand il voit la roche creusée,
ne sachant ce que c'est, il s'en approche
pour s'informer et pour voir
s'il y a quelque fortune cachée.
Afin d'en savoir plus il se laisse tomber,
et se retrouve au milieu de la grand-salle
de seigneur Ysengrin son bon ami.
Il y a ses quatre louveteaux couchés au centre,
et dame Hersent la louve
qui nourrit et couve les louveteaux.
Elle a accouché nouvellement,
elle donne à chacun sa tétée,
mais elle n'a pas couvert sa tête.
Elle surveille, elle voit ainsi la porte entrouverte,
mais la clarté la gène trop.
Elle lève sa tête pour regarder
et savoir qui est venu là.
Renart est grêle et menu,
il est caché derrière la porte;
alors Hersent s'en réconforte grandement
car elle l'a bien reconnu à son pelage roux.
Elle ne peut s'empêcher de s'agiter,
ainsi elle lui dit en riant:
« Renart, qu'avez vous à épier ? »
Quand Renart se rend compte qu'il est vu
et qu'il est reconnu,
il est alors tout déconfit,
il est convaincu d'être couvert de honte.
Il n'ose dire mot tellement il a peur
car on n'y voit goutte ici.


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Et Renart s'est acheminez,
Et s'en vet par le bois fendant;
Entre un tertre et un pendant
S'en vet Renart les saus menuz,
Ses amis a bien confonduz,
Car bien est des bacons delivre.
Fuiant s'en vet tot a delivre,
Onc ne fina et tant s'esgaie,
Qu'il s'enbati en une haie
Par desus une fosse oscure.
La li avint une aventure
De qoi il li anuie et poise,
Qar par ce conmença la noise
Par mal pechié et par deable
Vers Ysengrin le conestable.
Qant il vit la chevee roge,
Ne set que est, avant s'aproche
Por enquerre et por savoir
S'en i avoit repost avoir.
Ainz n'en sot mot que il s'avale,
Lors s'en torna enmi la sale
Dant Ysengrin son bon ami.
Quatre loviax gisent enmi
Et ma dame Hersent la love
Qui ses loviax norrist et cove.
Novelement est acouchie,
A chascun donoit sa bouchie,
Mes n'avoit pas son chief covert.
Garda, si vit l'uis entr'overt,
Et la clarté qui trop li grieve;
Por regarder sa teste lieve
Por savoir qui la ert venuz.
Renart fu grelles et menuz,
Muciez estoit derier la porte :
Et Hersent qui moult s'en conforte,
Le connut bien a la piau rouse,
Ne puet muer qu'el ne s'escosse,
Si li a dit tout en riant,
Renart, qu'alez vos espiant ?
Qant Renart sot qu'il ert veüz
Et qu'il estoit aparceüz,
Adont fu il toz desconfiz,
De honte avoir est il toz fiz;
N'ose mot dire tant se doute,
Que laiens ne veoit l'en goute.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

297-300 : Méon 337-340, Martin II 1025-1028, FHS 297-300
301-304 : Méon 341-344, FHS 301-304
305-336 : Méon 345-377, Martin II 1029-1060, FHS 305-336
337-338 : Méon 377-378, FHS 337-338
339-342 : Méon 379-382, Martin II 1061-1064, FHS 339-342
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Monday, December 22, 2008

Renart et Hersent : le mensonge de Renart




ersent soulève la tête,




t Hersent solieve le chief,
puis l'appelle à nouveau,
et lui fait signe de venir de son doigt mince :
« Renart, Renart, on voit à votre pelage
que vous êtes perfide et mauvais;
jamais vous ne souhaitez me faire plaisir,
ni ne venez là ou je suis.
Je ne connais pas de tel compère
qui ne rende pas visite à sa commère. »
Renart a grand peur, il est effrayé mais
il ne peut s'empêcher de lui répondre :
« Madame, fait-il, que Dieu me confonde
si jamais par méchanceté ou par haine,
je vous ai évitée alors que vous étiez en couches.
Je serais volontiers venu avant,
mais quand je vais par ces sentiers,
Seigneur Ysengrin m'épie
à chaque voie et à chaque chemin.
A cause de cela je ne sais quoi faire
tellement votre mari me hait :
il commet là un grand péché que de me haïr.
Mais que ma personne soit damnée
si jamais je lui ai fait la moindre chose
dont il devrait me porter rancune.
Pour cela je n'ose pas vous fréquenter,
je pourrais même me mettre fortement en colère.
Je vous aime d'amour, prétend-il,
ainsi qu'il s'en est plaint de nombreuses fois
à ses amis dans le pays.
Il leur a même promis de l'argent
pour me causer du tort et me faire honte.
Mais dites-moi, quel intérêt aurais-je
à vous demander une telle folie ?
Sérieusement, je ne le ferai pas,
de tels propos ne seraient pas élégants. »
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Si le rapele de rechief,
Et acene a son gresle doit,
Renart, Renart, la piau le doit,
Que soiez fel et deputaire,
Onc ne me vosistes bien faire,
Ne ne venistes la ou g'iere,
Je ne sai riens de tel compere
Qui sa conmere ne revide.
Renart a grant peor et hide,
Ne puet muer ne li responde.
Dame, fet il, Dex me confonde,
S'onques por mal ne por haine
Ai eschivé vostre gesine,
Ainz i venisse volentiers;
Mes qant je vois par ces sentiers,
Si m'espie dant Ysengrin
Et par voie et par chemin,
Por ce si ne sai que je face,
Tant con vostre mari me hace :
Moult fet grant pechié qu'i me het,
Mes li miens cors mal dahez et
S'onques li fis chose nisune
Dont me deüst porter rancune :
Por ce n'os vers vos reperier,
Si m'en puis moult forment irier.
Je vos aim, dist il, par amors,
Si en a fait maintes clamors
Par ceste terre a ses amis,
Et si lor a avoir pramis
Por moi fere laidure et honte.
Mes dites moi, a moi que monte
De vos requerre tel folie ?
Certes je nel feroie mie,
Ne tel parole n'est pas bele.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

343-366 : Méon 383-406, Martin II 1065-1088, FHS 343-366
367-368 : Méon 407-408, FHS 367-368
369-377 : Méon 409-417, Martin II 1089-1097, FHS 369-377
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Sunday, December 21, 2008

Renart et Hersent : le flirt




Quand Hersent entent la nouvelle,




ant Hersent entent la novele,
elle brûle de colère et en est couverte de sueur :
« Comment, dit-elle, seigneur Renart,
est-ce donc les propos tenus ?
Vraiment, je suis soupçonnée à tort.
Tel s'imagine venger sa honte
qui accroît grandement son embarras.
Je n'ai pas de honte à le dire maintenant :
je n'ai jamais pensé du mal de vous.
Mais à cause de ce qui a été clamé,
je tiens fermement à ce que vous m'aimiez.
Revenez donc souvent auprès de moi,
et je vous tiendrai pour ami.
Prenez moi dans les bras, embrassez moi donc,
soyez tranquille maintenant,
il n'y a personne ici qui puisse nous accuser. »
Renart en manifeste une grande joie,
il s'approche puis l'embrasse.
Hersent à qui ce jeu plait beaucoup,
lève la cuisse.
Puis Renart sort de la tour,
car il craint qu'Ysengrin ne vienne,
et redoute fort qu'il ne l'y surprenne.
Néanmoins avant de sortir,
il va vers les louveteaux et leur pisse dessus.
Après les avoir arrangés ainsi
et leur avoir tout pris et tout mangé,
il jette dehors tout ce qu'il trouve,
toute la viande, vielle ou fraîche.
Puis il les fait tomber de leurs lits,
il les injurie et les bat bien fort
comme si il était leur maître.
Il les traite de bâtards et d'illégitimes
de façon familière, comme celui
qui ne craint personne
en dehors de dame Hersent son amie,
qui n'en révélera rien du tout.
Il laisse les louveteaux en pleurs.
Dame Hersent vient alors vers eux,
elle les caresse et les supplie:
« Les enfants, dit-elle, ne soyez pas
au fond de votre cœur si impitoyables et sots
que votre père en sache un mot.
Il ne doit jamais apprendre
que Renart est venu ici.
— Quoi ? par le diable nous devrions protéger
Renart le roux, que nous haïssons
à mort, que vous avez reçu ici,
avec qui vous avez trompé notre père
qui a confiance en vous ?
Jamais, s'il plait à Dieu, tel affront
dont nous ressentons tant de honte
ne restera sans être vengé. »

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De mautalent tressue et art :
Conment, fet el, sire Renart,
Est en dont parole tenue ?
Certes mar i fui mescreüe.
Tel cuide sa honte vengier
Qui acroist son grant enconbrier.
Ne m'est or pas honte nel die,
Onques n'i pensai vilanie;
Mes por ce qu'il s'en est clamez,
Voil ge certes que vos m'amez,
Si revenez sovent a mi,
Et je vos tendrai por ami.
Acolez moi, si me besiez,
Or en estes bien eesiez,
Ci n'a qui encuser nos doie,
Renart en demaine grant joie
Et vient avant, si l'a besie.
Hersent a la cuisse haucie
A qui moult plesoit cel ator.
Et Renart s'en ist de la tor,
Qui crient que Ysengrin ne viengne;
Et mout doute qu'il n'i sorviengne.
Mes neporqant ainz qu'il s'en isse
Vient as loviaus, si les conpisse
Si con il erent arengié :
Si a tout pris et tot mengié,
Et gete fors quant qu'il i trouve,
Tote la viez char et la nueve,
Ses a de lor liz abatuz
Et laidengiez et bien batuz
Autresi con s'il fust lor mestres,
Ses clainme avostre et filastres
Priveement conme celui
Qui ne se doute de nului,
Fors que dame Hersent s'amie
Qui ne l'en descoverra mie.
Les loviax a lessiez plorant,
Dame Hersent lor vint devant,
Si les a blandiz et proiez :
Enfanz, dist ele, ne soiez
En vostre cuer si fel ne sot
Que vostre pere en sache mot,
Ne ja ne li soit conneü
Que Renart soit çaiens venu.
Qu'est ? deable ! nos celerons
Renart le rous que tant haons
De mort, qu'avez ci receü,
Et nostre pere deceü
Qui en vos avoit sa fiance ?
Ja, se Dieu plest, tele viltance
Dont nos somes si laidengié
Ne remaindra ne soit vengié.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

378-398 : Méon 418-438, Martin II 1098-1118, FHS 378-398
ignoré : Méon 439
399 : Méon 440, Martin II 1119, FHS 399
400 : Martin II 1120, FHS 400
401-430 : Méon 441-470, Martin II 1121-1150, FHS 401-430
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Saturday, December 20, 2008

Renart et Hersent : la colère d'Ysengrin



Renart les entend gronder



Renart les oï gorgocier
en colère envers leur mère.
Puis il se met aussitôt en route
la tête baissée pour que personne ne le voie,
il s'en va ainsi poursuivre ses occupations.
Voilà alors seigneur Ysengrin qui rentre
auprès des siens
dans une tanière sous la roche.
Il a tant couru, tant suivi de traces,
tant cherché et tant pourchassé,
qu'il est tout chargé de victuailles;
peu lui importe les problèmes d'autrui.
Il trouve alors sa maisonnée
que Renart a mis sens dessus dessous.
Et ses fils se plaignent à lui
qu'ils ont été battus et déshonorés,
qu'ils se sont fait pisser dessus et trainer,
qu'ils ont été maltraités, puis traités
de fils de putain, de bâtard, d'adultérin,
et qu'il a dit en plus
que vous êtes certainement cocu.
Alors Ysengrin devient fou de rage
quand il entend les reproches faits sur sa femme.
Peu s'en faut qu'il ne tombe d'évanouissement,
il hurle et crie comme un fou :
« Hersent, je suis bien maltraité à présent.
Sale, vile et méchante putain,
je vous ai entretenue dans le plus grand confort,
je vous ai bien protégée et bien nourrie,
et un autre vous a baisée.
Votre cœur est vraiment volage
pour laisser Renart, ce rouquin, ce puant,
cet infâme débauché, ce vaurien,
vous monter entre les cuisses.
Par les yeux de Dieu je suis cocu là à tort,
vous m'avez complètement déshonoré.
Vous ne coucherez plus jamais à coté de moi
puisque vous avez reçu un tel hôte,
à moins que vous fassiez toutes mes volontés. »
Hersent aurait vraiment à se plaindre
si elle ne lui promettait pas
toute sa bonne volonté :
« Sire, fait-elle, on dirait
que vous êtes fâché, mais il n'est pas juste
que vous manifestiez ici votre colère.
Car si vous me laissez me justifier
par serment ou par le jugement de Dieu,
je le ferai de cette manière :
que l'on me fasse brûler ou pendre
si je ne puis me disculper.
Je vous assure de plus
que je ferai tout mon possible
pour ce que vous voudrez me dicter.
Celui-ci ne sait plus quoi demander;
ce qu'elle dit est suffisant,
sa colère est terminée.
Mais il lui fait jurer
qu'elle ne laissera plus jamais
Renart en paix si elle a l'occasion de le voir.
Qu'il prenne garde à présent, ce sera plus sage.
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Et vers la mere coroucier,
Si s'est tantost mis a la voie
Le col bessié que nus nel voie,
Si va porchacier son afere.
A tant estes vos qu'il repere
Dant Ysengrin a sa mesnie
Qui soz la roche est entesnie.
Tant a coru et tant tracié,
Et tant porquis et pourchacié,
Que toz est chargiez de vitaille.
D'autrui domage ne li chaille,
Si a trovee sa mesniee
Que Renart ot estoutoiee.
Si fil se sont a lui clamé
Que batuz sont et disfamé,
Et compissiez et traïnez
Et laidengiez et puis clamez
Fil a putain, bastart, avoutre,
Et encore dist il tot outre
Certes que vos estiez cous.
Lors s'est Ysengrin d'ire estous
Qant de sa fame oï le blasme;
A bien petit qu'il ne se pasme,
Il ulle et bret come desvez.
Hersent, or sui je malmenez;
Pute orde vis, pute mauvese,
Je vos ai norrie a grant aise
Et bien gardee et bien peüe,
Et un autre vos a foutue.
Moult est tes corages muanz
Qant Renart cil rous, cil puanz,
Cil vil lechierres, cil garçons
Vos monta entre les arçons.
Par les iaus Dieu mar i fui cous,
Honi m'avez tout a estrous;
Ja mes ne gerroiz lez ma coste
Qant receü avez tel oste,
Se ne faites tot mon voloir.
Ja se peüst Hersent doloir
Se ne l'eüst acreanté
Tot son bon et sa volenté.
Sire, fait ele, vos diroiz
Corociez estes, n'est pas droiz
Que vos mostrez ici vostre ire,
Que se m'en lessiez escondire
Par serement ne par joïse,
Jel feroie par tel devise
C'om me feïst ardoir ou pendre
Se ne m'en pooie desfendre.
Si vos afi ensorquetot
Que mon pooir en feré tot
De ce que vodroiz deviser.
Cil ne set plus que demander,
Il ot que ele dist assez,
Ses mautalenz est trespassez,
Mes que il li ait fait jurer
Que james ne lera ester
Renart, s'ele le puet veoir.
Or se gart, si fera savoir.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

431-490 : Méon 471-530, Martin II 1151-1210, FHS 431-490
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Friday, December 19, 2008

Renart et Hersent : le viol d'Hersent



Seigneur Ysengrin est ragaillardi.



ant Ysengrin fu rehetiez,
Il dit qu'à présent Renart sera souvent
guetté avant que la guerre commence,
et qu'il sera fou s'il ne prend pas garde.
Il font de grands efforts pour le surveiller,
mais il ne se passe pas une semaine
avant qu'il leur arrive une aventure étrange.
Alors que le chemin tourne
près d'un essart à coté d'un enclos,
Renart a failli être acculé.
On avait déjà coupé les pois,
la paille était attachée,
rassemblée et alignée sur le chemin.
Renart connaissait bien cet endroit,
il y était venu pour fouiner,
chercher, guetter
si il y avait quelque nourriture.
Ysengrin qui ne demande rien
d'autre que de pouvoir le tenir,
baisse la tête car il le reconnait :
il pousse un cri puis l'appelle.
Renart qui n'est point rassuré,
l'a bien entendu et compris,
alors il s'enfuit l'échine tendu.
Hersent et Ysengrin se mettent
aussitôt en route ensemble.
Ils font tous leurs efforts à le poursuivre
mais il ne peuvent prendre le dessus.
Renart court sur un sentier étroit,
et Ysengrin court tout droit.
Hersent s'efforce de piquer de l'éperon
pour essayer de rejoindre Renart.
Ysengrin réalise qu'il s'est trompé
car Renart a bondi dans une autre direction;
Ysengrin corrige sa course.
Cela met Renart en colère,
car il ne veut pas se livrer à lui;
au contraire il n'arrête pas d'éperonner
jusqu'à l'entrée d'un trou profond.
Arrivé là, il y pénètre aussitôt.
Il aperçoit alors son amie Dame Hersent
qui est très fâchée contre lui,
mais il voit qu'il n'a plus à la redouter.
Pourtant Hersent agit plus que bêtement.
Elle entre à la suite de Renart dans le trou
avec plein d'élan jusqu'au ventre.
Le château de Renart est très solide,
et Hersent s'est jetée tellement fort
dans la tanière
qu'elle ne peut plus se dégager en arrière.
Quand Renart voit qu'elle est prise,
il ne veut laisser en aucune manière
l'occasion de lui faire l'amour
et de prendre d'elle tout son plaisir.
Peu s'en faut qu'elle n'en crève,
à cause du trou et de Renart qui l'écrase.
Le trou la comprime de partout
avec Renart la poussant par derrière.
Elle n'a là rien qui puisse l'aider
mais seulement sa queue
qu'elle serre fort du coté de ses reins,
pour que les deux trous de son derrière
ne se voient pas de l'extérieur.
Mais Renart saisit la queue avec ses dents
et la rabat sur la croupe,
pour lui dégager les deux trous.
Puis il lui saute dessus tout joyeux,
et il la prend aux yeux de tous,
que ça lui fasse du bien ou lui déplaise,
tout à son aise et pour son grand plaisir.
Elle lui dit pendant qu'il la prenait :
« Renart, c'est un viol, eh ! bien, soit ! »
Renart, pour qui il est agréable
de lui livrer ainsi bataille, se tait,
il la récompense si bien et lui en donne tant
que toute la fosse en résonne.
Quand la chose est finie
Renart lui dit avec perfidie :
« Dame Hersent, vous disiez
que vous n'auriez jamais d'estime pour moi
et que je ne vous ferais jamais l'amour
pour la seule raison que je me vantais.
Vraiment, je ne m'en excuserai jamais,
si je l'ai fait, je le ferai encore;
je l'ai fait et le ferai, je le dis et le redis. »
Plus de sept fois, voir dix,
ils ont recommencé leur affaire
avant de se séparer.
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Et dist, qu'or iert Renart gaitiez
Sovent ainz que la guerre parte,
Que foux sera s'il ne s'i garde.
De lui gaitier sont en grant paine,
Mes ainz que passast la semaine
Lor avint aventure estrange.
Ensi conme la voie change,
Lez un essart delez un clous
La dut estre Renart enclos.
L'en avoit ja les pois soiez,
Et li pesaz estoit loiez
Et amassez et trait en voie.
La savoit bien Renart la voie,
Venus i estoit por furgier
Et por enquerre et por surgier
Dont il poïst avoir viande.
Ysengrin qui el ne demande
Mes que il tenir le peüst,
Baisse la teste, sel conust;
Gita un brait, si s'escria.
Renart qui point ne s'afia,
L'a bien oï et entendu,
Si s'enfuist a col estendu.
Apres se metent el chemin
Entre Hersent et Ysengrin.
Il se painent de lui chacier,
Mes ne se puent avancier.
Renart corut la voie estroite,
Et Ysengrin corut la droite :
Et Hersent s'esforça de poindre
Qui a Renart se vodra goindre,
Vit Ysengrin si a failli,
Que Renart d'autre part sailli,
Ysengrin se rest adreciez.
De ce fu Renart correciez,
Ne s'ose a lui abandonner,
Ainz ne fina d'esperoner
Jusqu'a l'entree d'un val crues.
Qant il i vint, s'i entra lues.
Qant vit Dame Hersent s'amie
Qui vers lui iert si engramie,
Il vit qu'il n'avoit de lui garde,
Mes Hersent fist moult que musarde.
Apres Renart en la fosse entre
De plain eslais de ci au ventre,
Le chastel Renart ert moult forz,
Et Hersent par si grant effort
Se feri dedenz la taisniere
Qu'el ne se pot retraire arriere.
Qant Renart vit qu'ele estoit prise,
Ne volt laissier en nule guise
Que il n'alast a lui gesir,
Et faire de lui son plaisir.
Par un petit qu'ele ne crieve,
Que la fosse et Renart li grieve.
Que la fosse desus l'estraint,
Et Renart par devers l'enpaint.
El n'a ileuc qui la resqeue,
Mes que seulement de sa qeue
Qu'ele estreint si devers ses reins,
Que des deus pertuis de ses reins
Ne pert nul defors ne dedenz.
Mes Renart prist la qeue as denz
Et li reverse sor la crope,
Et les deus pertuis li destoupe,
Puis si saut sus liez et joianz,
Si li fait tot ses iauz veanz,
Ou bien li poist, ou mal li plaise,
Tout a laisir et a grant aise.
Ele dist que qu'il li faisoit,
Renart, c'est force, et force soit.
Renart se test a cui est bel
De ce qu'il li fet le cenbel,
Si bien la paie et tel li done
Que toute la fosse en resone.
Ainz que la chose fust fenie,
Li dist Renart par felonie,
Dame Hersent, vos disiez
Que ja ne me priserïez
Et que james nel vos feroie
Por seul itant que m'en ventoie.
Ja voir ne m'en escondirai,
Se jel fis, encor le ferai;
Fis et ferai, dis et redis
Plus de sept foiz, voire de dis,
Ont l'afere recommencie
Ainz qu'il eüssent partancie.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

491-563 : Méon 531-603, Martin II 1211-1283, FHS 491-563
564-565 : FHS 564-565
566-578 : Méon 604-616, Martin II 1284-1296, FHS 566-578
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Thursday, December 18, 2008

Renart et Hersent : l'explication de Renart




Voici, se précipitant à travers la broussaille,




z vos poignant par mi les broces
Ysengrin, qui arrive au beau milieu des noces.
Il ne parvient pas à se contenir;
avant de venir à eux
il crie alors haut et fort :
« Renart, Renart, tout doux,
par les saints du ciel, vous m'avez déshonoré. »
Renart est vif et rapide,
et il lui dit tout en s'en allant :
« Seigneur Ysengrin, ai-je gagné cette colère
pour mes bons et loyaux services ?
Voyez comme Hersent est prisonnière ici;
ainsi je l'aide à se délivrer
et à la retirer de ce trou,
et pour ça vous êtes tout effrayé !
Par Dieu, cher seigneur, ne croyez pas
que je lui ai fait la moindre chose,
ni soulevé ses vêtements ni retiré sa culotte.
Je le jure sur mon corps et sur mon âme;
je n'ai rien fait de mal à votre femme.
Et pour nous défendre, elle et moi,
là où vous voudrez bien l'accepter,
je vous le jurerai sous serment
avec l'assentiment de vos meilleurs amis.
— Un serment ! Traitre convaincu,
en vérité, vous vous protégez en vain.
N'imaginez plus de mensonges,
ni de vaines paroles ou autres inventions,
aucune excuse n'est convenable,
ce qui est arrivé est complètement évident.
— Eh là !, lui dit Renart, cher seigneur,
vous pourriez me parler beaucoup mieux,
vous ne devriez pas soutenir cela.
— Comment ? Ai-je les yeux crevés ?
Croyez-vous que je n'y vois goutte ?
Dans quel pays enfonce-t-on et pousse-t-on
une chose qu'on veut tirer vers soi,
comme je vous ai vu faire à Hersent ?
— Ma foi, seigneur, lui dit Renart,
vous savez que ruse et habileté
valent mieux pour protéger quelque chose,
quand on ne peut pas le faire avec la force.
Hersent est prise dans ce terrier,
mais elle est vraiment lourde et grosse;
je ne peux en aucune manière la tirer de là
à reculons par ce trou.
Elle y est entrée jusqu'au ventre,
et le terrier a une ouverture étroite.
Mais il est plus large plus loin,
c'est pourquoi je voulais la pousser dedans.
De plus, la tirer vers moi serait vain
car je me suis cassé la jambe l'autre jour.
Vous avez à présent entendu la vérité,
vous devez maintenant me croire,
à moins que vous ne vouliez imaginer
quelque prétexte comme vous avez coutume.
Et quand la dame sera tirée de là,
je ne crois pas qu'une plainte soit déposée;
jamais, si elle ne souhaite pas mentir,
vous ne l'entendrez proférer un mot. »
Sur ces paroles il rentre dans sa tanière
après s'être bien défendu.
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Ysengrin qui s'enbat es noces :
Ne se pot mie tant tenir
Que il poist a aus venir,
Ainz s'escria moult hautement,
Renart, Renart, tot belement,
Par les Sainz Dieu mar m'i honistes.
Renart fu remuenz et vites,
Si li a dit tot en alant,
Sire Ysengrin, cest mautalant
Ai ge conquis par bel servise,
Veez con Hersent est ci prise;
Se je l'aïde a delivrer
De cest pertuis et a oster,
Por ce si estes esfraez.
Por Dieu, biau sire, ne creez
Que nule riens li aie fete,
Ne draz levez ne braie trete,
Ains par cest cors ne par ceste ame
Ne forfis riens a vostre fame,
Et por moi et por lui desfandre
Par tot la ou le vodroiz prendre,
Un sairement vos aramis
Au los de voz meillors amis.
Sairement! traïtres provez,
Voir por noient vos en covrez
Ne controverez ja manconge,
Ne vaine parole, ne songe,
N'i convient nule coverture,
Tote est aperte l'aventure.
Avoi, ce dist Renart, biau sire,
Vos porriez assez miex dire :
Ice maintenir ne devez.
Comment ai ge les iauz crevez ?
Quidiez que je ne voie goute ?
En quel terre enpaint l'en et boute
Chose que l'en veut a soi traire
Con je vos vi a Hersent faire ?
Par foi, sire, ce dist Renart,
Vos savez qu'en engin et art;
Si vaut a chose mainbornir
Qu'en ne puet a force fornir.
Hersent est prise en ceste fosse
Qui moult est voir espese et grouse;
En nul sens traire ne l'en puis
A reculons par cest pertuis.
Ele i est jusqu'au ventre entree,
Et la fosse a petite entree,
Mes elle est de lonc auques graindre,
Por ce la voloie enz enpaindre.
Mes por noient a moi la sache,
Que j'oi l'autrier la jambe qasse.
Or en avez oï la voire,
Si m'en devez a itant croire,
Se vos controver ne volez
Achoison con fere solez.
Et qant la dame ert de ci traite,
Je ne cuit clamors en soit faite,
Ne ja, s'ele ne velt mentir,
Ne l'en orrez un mot tentir.
A icest mot s'est entesniez
Qant se fu assez deresniez.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

579-640 : Méon 617-678, Martin II 1297-1358, FHS 579-640
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Wednesday, December 17, 2008

Renart et Hersent : la délivrance d'Hersent




sengrin est de l'autre coté




sengrin fu de l'autre part,
et voit Renart qui donne la leçon,
qui l'a déshonoré sous ses yeux,
puis qui le raille et s'en va en se moquant.
Mais il ne prend pas la peine de discuter,
plutôt il se redresse pour aider
sa femme qui est sur une mauvaise voie.
Il la saisit par la queue
et la tire vers lui avec une telle force,
qu'Hersent souffre comme une martyre,
et il lui arrive à cause de la douleur
que son trou de derrière cède.
Ysengrin voit qu'elle se vide,
alors il pourra l'avoir ainsi qu'il le croit.
Il se recule un petit peu,
et il voit qu'elle est coincée dans le passage.
A moins qu'il soit un peu élargi,
Hersent ne pourra pas être retirée;
et s'il ne la dégage pas de là, il sera malheureux.
Il est ni paresseux ni mou,
il attaque avec ses griffes et gratte fort,
il retire la terre à l'extérieur avec sa patte;
il gratte d'un coté et de l'autre,
les diables l'auront s'il ne l'a pas.
Quand il en a assez ôté
en haut en bas et sur les cotés,
il s'approche d'Hersent, puis la soulève;
et comme il la trouve un peu desserrée,
il pousse et il tire et il secoue et il frappe,
peu s'en faut que la queue ne se rompe,
mais elle est bien attachée.
Il l'a tant poussée et tirée
que, Dieu merci, elle a bien tenu
jusqu'à ce qu'Hersent soit sortie dehors.
Il a eu beaucoup de peine à la tirer de là
au point qu'il en perde le souffle.
Il voit que Renart n'a plus rien à craindre de lui
puisqu'il s'est mis dans sa tanière.
Dés qu'Ysengrin voit Hersent délivrée,
il dit : « Hé!, sale vipère,
sale serpent, sale couleuvre,
j'ai bien vu tout le travail;
Renart sait bien me cocufier,
je l'ai vu allongé sur vos reins,
vous ne pouvez pas vous en défendre. »
Peu s'en faut qu'Hersent n'enrage de colère
puisqu'Ysengrin prend ainsi la chose;
néanmoins elle lui raconte l'affaire
d'un bout à l'autre :
« Seigneur, il est vrai qu'il m'a déshonorée,
mais je n'ai rien fait de mal
vu qu'il m'a prise de force.
Laissez tomber tous ces griefs
car ce qui est fait n'est plus à faire.
C'est terminé, passez à autre chose,
ce méfait ne sera jamais réparé
avec ce que nous pouvons en dire.
À la cour de Noble le lion,
on traite les procès et les audiences
de guerres à mort et autres querelles.
Nous irons là-bas nous plaindre à lui,
et vous aurez bientôt réparation
si cette affaire peut être portée devant la cour. »
Ces mots ont complètement réconforté
seigneur Ysengrin de sa colère.
« Certes, fait-il, je vous ai trop grondé,
j'ai agi très bêtement et je savais peu.
Mais ce conseil m'a remis sur le bon chemin :
Renart aura commis sa terrible faute à tort
si je parviens à le traîner devant la cour du roi. »


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Si voit Renart qu'esprent et art,
Qui l'a honi ses eulz voiant,
Puis si le gabe et va moqant,
Mes il n'a or soing de plaidier,
Ainz se redresce por aidier
Sa fame qui va male voue;
Il l'a saisie par la quoue,
De tel vertu a soi la tire
Que Hersent est en tel martire,
Que il li covint par angoisse
Que le pertuis derriere croisse.
Ysengrin voit qu'elle se vuide,
Or l'aura il si con il cuide.
Un petitet s'est tret arriere,
Il voit qu'ele est en la chariere,
Si s'est un petit alaschie.
Hersent ne pot estre sachie;
S'il ne la tret, il ert dolenz.
Il n'est pas pereceus ne lenz,
As ongles s'est pris et si grate,
Tret la terre fors a la pate;
Grate de la, et puis deça,
Deables l'auront s'il ne l'a.
Qant il en a assez osté
Et sus et jus et au costé,
Vint a Hersent, si la soufache,
Et qant il la trove un poi lasche,
Empaint et tire et sache et boute,
A poi la qeue ne ront toute,
Mes ele estoit bien atachie.
Tant l'a empainte et fors sachie,
Que merci Dieu bien s'est tenue
Tant que Hersent est fors issue.
Traite l'en a a moult grant peine,
A poi que ne li faut l'alaine.
Il voit Renart qui poi le doute,
Car il s'est mis dedenz sa croute.
Quant Ysengrin la vit delivre,
Haï ! fet il, pute orde vivre,
Pute serpent, pute coleuvre,
Bien ai veue toute l'uevre;
Bien me set Renart acupir,
Je le vis sor voz rains gesir,
Ne vos en pouez escondire.
Par poi Hersent n'enrage d'ire
Por Ysengrin qui si la chose;
Mes nequedent toute la chose
De chief en autre li raconte,
Sire, il est voir qu'il m'a fet honte,
Mes n'i ai mie tant meffet
Endroit ce que force m'a fet :
Lessiez ester tot cest contrere,
Ce qui est fet n'est mie a fere.
C'est outre, a el entendez,
Ja cest meffet n'ert amendez
Par chose que nos en dion.
A la cort Noble le lion
Tient on les ples et les oiances
De mortiex guerres et de tences,
La nos irons de lui clamer,
Bientost le porrez amender,
Se ce puet estre a cort porté.
Cest mot a tot reconforté
Sire Ysengrin le corrocié.
Certes, fet il, trop ai groucié,
Moult iere fox et poi savoie,
Mes cest conseus m'a mis a voie :
Mar vit Renart son grant desroi
Sel puis tenir a cort de roi.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

641-678 : Méon 679-716, Martin II 1359-1396, FHS 641-678
679 : Méon 717, FHS 679
680-710 : Méon 718-748, Martin Va 258-288, FHS 680-710
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