Monday, December 29, 2008

Prologue : la naissance d'Ysengrin




Aucupre dit dans son récit




ucupre dist en cele letre
(qu'il soit béni de Dieu celui qui lui a fait mettre !)
comment Dieu chasse hors du paradis
Adam et Ève
parce qu'ils ont transgressé
ce qu'il leur a ordonné.
Il les prend alors en pitié, et leurs donne
une verge. Puis il leurs explique
que lorsqu'ils auront besoin de quelque chose,
ils devront frapper dans la mer avec la verge.
Adam tient la verge dans sa main,
et frappe dans la mer devant Ève.
Aussitôt après avoir frapper dans la mer,
une brebis en jaillit.
Adam dit alors : « Madame, prenez
cette brebis, puis gardez la;
elle vous donnera beaucoup de lait et de fromage.
Nous en tirerons de la nourriture à suffisance. »
Ève pense au fond du cœur
que si elle en avait encore une,
plus belle serait la compagnie.
Elle saisit aussitôt la verge,
et frappe violemment dans la mer :
un loup en jaillit qui prend la brebis,
et s'en va en fuyant à grand train
et grand galop dans le bois.
Quand Ève voit qu'elle a perdu
sa brebis et qu'elle ne peut être secourue,
elle se lamente et crie très fort : « Ha ! Ha ! »
Adam reprend la verge,
il frappe de colère dans la mer :
un chien en jaillit hâtivement.
Quand il voit le loup, il court à bride abattue
vers la brebis qu'il veut délivrer.
Il la réclame : avec beaucoup de mauvaise grâce
le loup lui laisse là la brebis;
mais il ferait bien de même demain
s'il la tenait en un bois ou une plaine.
Puisque le loup a perdu,
il s'enfuit dans le bois tout honteux.


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(Bien ait de Diex qui l'i fist metre !)
Come Diex ot de paradis
Et Adam et Evain fors mis
Por ce qu'il orent trespassé
Ce qu'il lor avoit conmandé.
Pitiez l'en prist, si lor dona
Une verge, si lor mostra
Qant il de riens mestier auroient,
De cele verge en mer ferroient.
Adam tint la verge en sa main,
En mer feri devant Evain :
Sitost con en la mer feri,
Une brebiz fors en sailli.
Lors dist Adam, dame, prenez
Ceste brebiz, si la gardez;
Tant vos donra let et fromage.
Assez i aurons compenage.
Evain en son cuer porpensoit
Que s'ele encor une en avoit,
Plus bele estroit la conpaignie.
Ele a la verge tost saisie,
En la mer feri roidement :
Un leus en saut, la brebiz prent,
Grant aleüre et grant galos
S'en va li leus fuiant au bos.
Qant Eve vit qu'ele a perdue
Sa brebiz, s'ele n'a aïue,
Bret et crie forment, ha ! ha !
Adam la verge reprise a,
En la mer fiert par mautalent,
Un chien en saut hastivement.
Quant vit le Leu, si lesse corre
Por la brebiz qu'il velt rescorre.
Il li resquest : moult a enviz
La laisse li leus la brebiz;
Si feroit il encor demain
S'il la tenoit a bois n'a plain.
Por ce que mesfet ot li leus,
Au bois s'en foui tot honteus.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

41-80 : Méon 41-80, Martin XXIV 19-58, FHS 41-80
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2 comments:

  1. Traductions à confirmer:
    1. (v. 68) "s'ele n'a aïue" = "comme elle n'a pas d'aide"?
    2. (v. 69) "Bret" = "elle s'agite"? S'agit-il effectivement du verbe "brester"?
    3. (v. 58) "Assez i aurons compenage." = "Nous en tirerons beaucoup de nourriture"?
    4. (v. 73) "si lesse corre" = "il court avec beaucoup d'entrain"?

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  2. 1. s'ele n'a aïue : si elle n'a pas d'aide; si personne ne vient à son aide; pour une fois le "s" introduit une condition.
    2. bret ne vient pas du verbe brester, mais du verbe brere, se lamenter; emploi qui subsiste dans le français du nord
    3. Ok pour nourriture.
    Une remarque sur "assez": lat. ad satis: à comprendre, au départ comme "à satiété". Je préférerais "nous en tirerons de la nourriture à suffisance".
    C'est la même difficulté pour genug en allemand: on ne doit pas traduire Ich habe genug par "j'en ai assez", mais par "je suis comblé".
    4. lesse corre: il "laisse courir"; terme d'équitation; il lâche la bride, il court à bride abattue.

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