Saturday, December 20, 2008

Renart et Hersent : la colère d'Ysengrin



Renart les entend gronder



Renart les oï gorgocier
en colère envers leur mère.
Puis il se met aussitôt en route
la tête baissée pour que personne ne le voie,
il s'en va ainsi poursuivre ses occupations.
Voilà alors seigneur Ysengrin qui rentre
auprès des siens
dans une tanière sous la roche.
Il a tant couru, tant suivi de traces,
tant cherché et tant pourchassé,
qu'il est tout chargé de victuailles;
peu lui importe les problèmes d'autrui.
Il trouve alors sa maisonnée
que Renart a mis sens dessus dessous.
Et ses fils se plaignent à lui
qu'ils ont été battus et déshonorés,
qu'ils se sont fait pisser dessus et trainer,
qu'ils ont été maltraités, puis traités
de fils de putain, de bâtard, d'adultérin,
et qu'il a dit en plus
que vous êtes certainement cocu.
Alors Ysengrin devient fou de rage
quand il entend les reproches faits sur sa femme.
Peu s'en faut qu'il ne tombe d'évanouissement,
il hurle et crie comme un fou :
« Hersent, je suis bien maltraité à présent.
Sale, vile et méchante putain,
je vous ai entretenue dans le plus grand confort,
je vous ai bien protégée et bien nourrie,
et un autre vous a baisée.
Votre cœur est vraiment volage
pour laisser Renart, ce rouquin, ce puant,
cet infâme débauché, ce vaurien,
vous monter entre les cuisses.
Par les yeux de Dieu je suis cocu là à tort,
vous m'avez complètement déshonoré.
Vous ne coucherez plus jamais à coté de moi
puisque vous avez reçu un tel hôte,
à moins que vous fassiez toutes mes volontés. »
Hersent aurait vraiment à se plaindre
si elle ne lui promettait pas
toute sa bonne volonté :
« Sire, fait-elle, on dirait
que vous êtes fâché, mais il n'est pas juste
que vous manifestiez ici votre colère.
Car si vous me laissez me justifier
par serment ou par le jugement de Dieu,
je le ferai de cette manière :
que l'on me fasse brûler ou pendre
si je ne puis me disculper.
Je vous assure de plus
que je ferai tout mon possible
pour ce que vous voudrez me dicter.
Celui-ci ne sait plus quoi demander;
ce qu'elle dit est suffisant,
sa colère est terminée.
Mais il lui fait jurer
qu'elle ne laissera plus jamais
Renart en paix si elle a l'occasion de le voir.
Qu'il prenne garde à présent, ce sera plus sage.
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Et vers la mere coroucier,
Si s'est tantost mis a la voie
Le col bessié que nus nel voie,
Si va porchacier son afere.
A tant estes vos qu'il repere
Dant Ysengrin a sa mesnie
Qui soz la roche est entesnie.
Tant a coru et tant tracié,
Et tant porquis et pourchacié,
Que toz est chargiez de vitaille.
D'autrui domage ne li chaille,
Si a trovee sa mesniee
Que Renart ot estoutoiee.
Si fil se sont a lui clamé
Que batuz sont et disfamé,
Et compissiez et traïnez
Et laidengiez et puis clamez
Fil a putain, bastart, avoutre,
Et encore dist il tot outre
Certes que vos estiez cous.
Lors s'est Ysengrin d'ire estous
Qant de sa fame oï le blasme;
A bien petit qu'il ne se pasme,
Il ulle et bret come desvez.
Hersent, or sui je malmenez;
Pute orde vis, pute mauvese,
Je vos ai norrie a grant aise
Et bien gardee et bien peüe,
Et un autre vos a foutue.
Moult est tes corages muanz
Qant Renart cil rous, cil puanz,
Cil vil lechierres, cil garçons
Vos monta entre les arçons.
Par les iaus Dieu mar i fui cous,
Honi m'avez tout a estrous;
Ja mes ne gerroiz lez ma coste
Qant receü avez tel oste,
Se ne faites tot mon voloir.
Ja se peüst Hersent doloir
Se ne l'eüst acreanté
Tot son bon et sa volenté.
Sire, fait ele, vos diroiz
Corociez estes, n'est pas droiz
Que vos mostrez ici vostre ire,
Que se m'en lessiez escondire
Par serement ne par joïse,
Jel feroie par tel devise
C'om me feïst ardoir ou pendre
Se ne m'en pooie desfendre.
Si vos afi ensorquetot
Que mon pooir en feré tot
De ce que vodroiz deviser.
Cil ne set plus que demander,
Il ot que ele dist assez,
Ses mautalenz est trespassez,
Mes que il li ait fait jurer
Que james ne lera ester
Renart, s'ele le puet veoir.
Or se gart, si fera savoir.
Les exploits de jeunesse de Renart
Les enfances Renart (1)

431-490 : Méon 471-530, Martin II 1151-1210, FHS 431-490
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1 comment:

  1. Traductions à confirmer:
    1. (v. 436) "A tant estes vos" = "Voilà alors" ?
    2. (v. 437) "a sa mesnie" = "auprès des siens" ?
    3. (v. 444) "ot estoutoiee" = "a mis sens dessus dessous" ?
    4. (v. 458) "norrie a grant aise" = "entretenue dans le plus grand confort" ?
    5. (v. 465) "Par les iaus Dieu mar i fui cous" = "Par les yeux de Dieu je suis cocu là à tort" ?
    6. (v. 472) "Tot son bon et sa volenté" = "toute sa bonne volonté" ?
    7. (v. 480) "desfendre" = "disculper" ?
    8. (v. 489) "s'ele le puet veoir" = "si elle a l'occasion de le voir" ?
    9. (v. 490) "Or se gart, si fera savoir" = "Qu'il prenne garde à présent, ce sera plus sage" ?

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