Wednesday, October 29, 2008

Ysengrin fait moine : la tonsure




Ysengrin entend et comprend bien




sengrin ot et entent bien
que quoiqu'il puisse dire
il n'entrera pas dans la maison de Renart.
Que voulez-vous ? Il devra s'en passer,
néanmoins il lui demande
un morceau de viande :
« Allez, donnez-moi juste un tronçon,
je ne le demande pas seulement pour goûter,
mais quel bonheur d'avoir pêché
et écorché ces anguilles
si vous consentez à en manger. »
Renart, qui sait fort bien flatter,
prend deux tronçons d'anguille
qui rôtissent sur les charbons.
Elle est tellement cuite qu'elle s'émiette,
et toute la chair se détache.
Il en mange un, et apporte l'autre
à celui qui est à la porte.
Alors il dit : « Compère, approchez
un peu, et prenez ainsi
de cette pitance, par charité,
de la part de ceux qui ont toute confiance
que vous serez moine un jour. »
Ysengrin dit : « Je ne sais pas encore
ce que je serai, ça peut bien se faire;
quant à cette pitance, très cher maître,
donnez la moi vite. »
Renart lui donne, et il la prend
et s'en acquitta aussitôt;
il en mangerait bien plus encore.
Renart lui dit : « Comment ça vous semble ? »
Le glouton frémit et tremble,
il brûle de gourmandise :
« Vraiment, fait-il, seigneur Renart,
vous serez bien récompensé pour cela,
donnez m'en donc encore un,
très cher compère, pour m'encourager
à rentrer dans votre ordre.
— Par mes bottes, lui dit Renart,
qui est tellement plein de malice,
si vous vouliez devenir moine,
je ferais de vous mon maître,
car je sais bien que les seigneurs
vous éliraient comme prieur
avant la Pentecôte, voire comme abbé.
— Me dites-vous la vérité ? »
Renart répond : « Oui, cher seigneur,
sur ma tête, j'ose bien vous le dire,
vous feriez un bel ecclésiastique,
une fois que vous auriez revêtu la robe
par dessus votre pelisse grise.
Il n'y aurait pas de si beau moine dans l'église.
— Aurai-je suffisamment de poisson
jusqu'à ce que je sois rétabli
de ce mal qui m'a abattu ? »
Et Renart lui répond :
« Mais autant que vous pourrez en manger.
— Alors faites-moi tonsurer. »
Renart dit : « Plutôt, raser et tondre. »
Ysengrin se met à grogner
quand il entend parler de raser :
« S'il n'y a pas d'autre moyen, fait-il,
compère, rasez-moi vite. »
Renart répond promptement :
« Vous aurez une couronne grande et large,
si ce n'est que l'eau doit être chauffée. »
Vous allez maintenant entendre un joli tour.
Renart met l'eau sur le feu,
et la fait bien bouillir.
Puis il revient vers lui
et lui fait passer la tête
par un trou à côté de la porte.
Ysengrin tend le cou.
Renart qui le prend vraiment pour un sot,
lui renverse l'eau bouillante
d'un coup sur la tête.
Il en a vraiment trop fait, quelle sale bête !
Alors Ysengrin secoue la tête,
montre les dents, fait mauvaise mine,
se retire à reculons,
puis s'écrit : « Renart, je suis mort,
qu'un malheur vous arrive aujourd'hui même !
Vous m'avez fait une trop grande tonsure. »
Renart lui tire une langue
d'un bon demi pied hors de la gueule :
« Seigneur, vous n'êtes pas le seul à l'avoir
car tout le couvent l'a pareillement. »
Ysengrin dit : « Je crois que vous mentez.
— Non, seigneur, ne vous tracassez pas,
mais en cette première nuit
il convient de vous mettre à l'épreuve,
comme le saint ordre nous le commande. »
Ysengrin dit tout bonnement :
« Je ferai tout ce qui relève de l'ordre,
n'en ayez aucune crainte. »
Renart a maintenant la garantie
qu'il ne lui fera aucun mal,
et qu'il se comportera selon ses conseils.
Renart l'a si bien manœuvré
qu'il l'a complètement dupé.
Alors il va tout droit vers Ysengrin,
qui se plaint fortement
parce qu'il est rasé de trop près,
et que ni poil ni cuir n'est resté.
Sans en dire plus ni s'attarder,
tous deux s'en vont d'ici
Renart devant et l'autre après,
jusqu'à ce qu'ils arrivent près d'un étang.


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Qu'en la meson Renart por rien
Qu'il puisse dire, n'enterra,
Et que volez ? si souferra,
Et neporqant il li demande
Un seul morsel de sa viande,
Car m'en donez un sol tronçon,
Nel di se por essaier non,
Mes bon fussent eles peschies
Les anguilles et escorchies,
Se vos en daingniez mengier.
Renart qui bien sot losengier,
Prist des anguilles deus tronçons
Qui rostissent sor les charbons.
Tant fu cuite que toute esmie,
Et dessoivre toute la mie.
L'un en menja, l'autre en aporte
A celui qui est a la porte :
Lors dist, compere, ça venez
Un poi avant, et si tenez
Par charité de la pitance
A ceus qui bien sont a fiance
Que vos serez moines encore.
Dist Ysengrin, je ne sai ore
Quel je seré, bien porra estre;
Mes la pitance, biau doz mestre,
Que me bailliez isnelement.
Renart li baille, et il la prent
Qui moult tost en fust delivrez,
Encor en menjast il assez.
Ce dist Renart, que vos en semble ?
Li lechierres fremist et tranble,
De lecherie esprent et art :
Certes, fet il, sire Renart,
Cil vos ert bien guerredonez,
Encore un seul car m'en donez,
Biau doz conpere, por amordre
Tant que je fusse de vostre ordre.
Par nos botes, ce dist Renart
Qui moult fu plains de males ars,
Se vos voliez moines estre,
Je feroie de vos mon mestre,
Car je sai bien que li seignor
Vos esliroient a prior
Ainz Pentecoste, ou a abé.
Avez me vos dit verité ?
Renart respont, ouil, biau sire,
Par mon chief je vos os bien dire
En vos aroit bele persone
Qant avriez vestu la gone
Par desus la pelice grise :
N'auroit si biau moine en l'iglise.
Auroie je poisson assez
Tant que je fusse respassez
De cest mal qui m'a confondu ?
Et Renart li a respondu,
Mes tant con vos poriez mengier.
Donques me faites rooignier.
Et Renart dit, mes rere et tondre.
Ysengrin conmença a grondre
Qant il oï parler de rere :
Or n'i a plus, fet il, compere,
Mes reez moi isnelement.
Renart respont hastivement,
Aurez corone grant et lee
Ne mes que l'eve soit chaufee.
Oïr poez ici biau gieu;
Renart mist l'iave sor le feu,
Et la fist trestote boillant,
Puis li est revenuz devant,
Et sa teste encoste de l'uis
Li fet bouter par un pertuis,
Et Ysengrin estent le col.
Renart qui bien le tint por fol,
L'eve boillant li a gitee
Desus la teste et reversee :
Moult par a fet que male beste.
Et Ysengrin escout la teste
Et rechine et fet lede chiere,
A reculons se tret ariere,
Si s'escria, Renart, mort sui,
Male aventure aiez vos hui !
Trop grant corone m'avez faite.
Renart li a la langue traite
Bien demi pié fors de la geule.
Sire, ne l'avez mie seule.
Que autresi l'a li covenz.
Dist Ysengrin, je cuit que menz.
Non faz, sire, ne vos anuit,
Mes iceste premiere nuit
Vos covient il metre en esprove,
Que la sainte ordre le nos rove.
Dist Ysengrin moult bonement,
Feré ce que a l'ordre apent,
Ja mar en serez en doutance.
Renart en a pris la fiance
Que par lui mal ne lor vendra,
Et a son los se maintendra.
Tant a fet et tant a ovré
Renart, que bien l'a asoté,
Et vint a Ysengrin tot droit
Qui durement se conplaingnoit
De ce qu'il estoit si pres res
Que cuir ne poil n'i est remés.
N'i ot plus dit ne sejorné,
Andui se sont d'ilec torné
Renart devant et cil apres,
Tant qu'il vindrent d'un vivier pres.
Comment Renart fit Ysengrin moine
Si conme Renart fist Ysangrin moine (3)

973-1021 : Méon 1023-1071, Martin III 269-317, FHS 973-1021
1022-1023 : Méon 1072-1073, FHS 1022-1023
1024-1072 : Méon 1074-1122, Martin III 318-366, FHS 1024-1072
ignoré : Martin III 367-368
1073-1080 : Méon 1123-1130, Martin III 369-376, FHS 1073-1080
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1 comment:

  1. Traductions à confirmer:
    1. (v. 976) "si souferra" = "il devra s'en passer" ?
    2. (v. 992-994) "si tenez Par charité de la pitance A ceus" = "prenez ainsi de cette pitance, par charité, de la part de ceux" ?
    3. (v. 1034) "Or n'i a plus" = "S'il n'y a pas d'autres moyens" ?
    4. (v. 1038) "Ne mes que" = "si ce n'est que" ?
    5. (v. 1049) "Moult par a fet que male beste" = "Il en a vraiment trop fait, quel sale bête" ?
    6. (v. 1061) "ne vos anuit" = "ne vous tracassez pas" ?

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