ses fils prennent grand soin de lui, ils lui nettoient bien les jambes. Puis ils écorchent les anguilles, les coupent en tronçons, font deux broches avec des branches de coudrier, et les enfilent dedans. Ils allument le feu rapidement, car ils ont des bûches en abondance, et ils l'attisent de tous les côtés. Ils les mettent alors sur la braise qui restent des tisons consumés. Pendant qu'ils font cuire et rôtir les anguilles, voici monseigneur Ysengrin qui a parcouru bien des contrées, depuis le matin jusqu'à cette heure, sans jamais pouvoir obtenir quelque chose. Il s'engage alors dans un essart juste devant le château de Renart. Et il voit la cuisine fumer, là où celui-ci a fait allumer le feu, et où les anguilles, que ses fils tournent sur les broches, rôtissent. Ysengrin en sent le fumet dont il n'est pas coutumier. Il commence alors à renifler fortement et à se lécher les babines. Il irait volontiers se servir s'ils voulaient bien lui ouvrir la porte. Il se dirige vers une fenêtre pour regarder ce que ça peut être. Il commence à réfléchir comment il pourrait entrer à l'intérieur; car Renart est ainsi fait qu'il ne fera rien pour une prière. Il s'accroupit sur une souche; il en a mal à la gueule de tant bailler. À la fin il se résout à prier son compère au nom de Dieu, de lui donner, s'il lui permet, un peu ou beaucoup de sa viande. Il appelle alors par un trou : « Seigneur mon compère, ouvrez-moi la porte ! Je vous apporte de mes nouvelles, je crois qu'elles vous seront très agréables. » Renart l'entend, et le reconnait bien, mais il ne fait rien de tout ça, et lui fait plutôt la sourde oreille. Ysengrin s'en étonne beaucoup, lui qui est dehors, qui souffre beaucoup, et qui convoite les anguilles. Alors, il lui dit : « Ouvrez, cher seigneur ! » Et Renart commence à rire, et lui demande : « Qui êtes-vous ? » Celui-ci répond alors : « C'est moi ! — Qui vous ? — Je suis votre compère. — Nous pensions que c'était un voleur. — Non, je n'en suis pas un, dit Ysengrin, ouvrez ! » Renart répond : « Attendez donc que les moines qui ont pris place à table aient mangé. — Comment, fait-il, il y a donc des moines ? » Renart répond : « En fait, ce sont des chanoines et ils sont de l'ordre de Tiron. Et déplaise à Dieu si je mens, mais je suis entré en religion parmi eux. — Au nom du Seigneur, dit le loup, m'avez-vous dit la vérité ? — Oui, par la sainte Charité. — Alors, donnez-moi l'hospitalité. — Vous n'aurez jamais rien à manger. — Mais dites-moi, n'avez-vous pas de quoi ? » Renart répond : « Si, ma foi, mais permettez-moi de vous demander : êtes-vous venu pour mendier ? — Non, au contraire je viens vous rendre visite. » Renart répond : « Ce n'est pas possible. — Et pourquoi donc, dit le loup ? » Alors Renart dit : « Ce n'est pas le moment. — Mais dites-moi : mangez-vous de la viande ? » Renart répond : « C'est une plaisanterie ! — Que mangent donc vos moines ? — Je vais vous le dire sans aucun embarras. Ils ne mangent pas des fromages mous mais du poisson qui est gras et gros; Saint Benoît nous recommande de ne pas avoir de plus mauvaise viande. » Ysengrin dit : « Je ne m'en doutais pas, je ne savais rien de tout cela; mais donnez moi donc l'hospitalité, je ne saurais où aller à présent. » Renart répond : « Ne m'en parlez pas ! Nul, s'il n'est pas moine ou ermite, ne peut être hébergé ici. Éloignez-vous à présent, il n'en va pas autrement. » |
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972 | Si filz li font moult grant ator; Bien li ont les jambes torchies, Et les anguilles escorchies, Puis les couperent par tronçons, Deus hastiers firent de plançons De codre, et enz les ont boutez, Et li feus fu tost alumez, Qu'il orent buche a grant plenté, Puis l'ont de totes parz venté. Lors les ont mises sor la brese Qui des tisons lor fu remese. Endementiers que il cuisoient Les anguilles et rostissoient, Es vos mon seignor Ysengrin Qui erré ot des le matin Jusque a cele heure en mainte terre, Et onques n'i pot riens conquerre. Lors s'en torna en un essart Droit devant le chastel Renart, Et vit la cuisine fumer Ou il ot fait feu alumer, Ou les anguilles rostissoient Que si fil es hastes tornoient. Ysengrin en sent la fumee Qu'il n'avoit mie acostumee. Adonc conmença a fronchier Et les barbes a delechier : Volentiers les alast servir S'i li vosissent l'uis ovrir. Il se tret vers une fenestre Por esgarder que ce puet estre; Il se conmence a porpenser Conment porra laiens entrer, Car Renart est de tel maniere Qu'il ne fera riens por proiere. Acroupiz s'est sor une çouche, De baaillier li delt la bouche : A la parfin se porpensa Que son conpere proiera Et por Dieu li doint, s'il conmande, Ou poi ou grant de sa viande. Lors apele par un pertuis, Conpere sire, ovrez me l'uis, Je vos aport de mes noveles, Je quit que moult vos seront beles, Renart l'oï, sel connut bien, Mes de tot ce ne li fu rien, Ançois li a fet sorde oreille, Et Ysengrin moult s'en merveille Qui defors fu moult angoisseus Et des anguilles covoiteus. Si li a dit, ovrez, biau sire, Et Renart conmença a rire, Si demande, qui estes vos ? Et cil respont, ce somes nos. Qui vos ? Ce est vostre compere. Nos cuidions ce fust un lerre. Non sui, dist Ysengrin, ovrez. Renart respont, or vous soufrez Tant que li moine aient mengié Qui as tables sont arengié. Conment, fet il, sont ce dont moine ? Renart respont, ainz sont chanoine Et sont de l'ordre de Tiron, Ja, se Dieu plet, n'en mentiron, Et je me sui renduz o euls. Nomini dame, dist li leus, Avez me vos dit verité ? Oïl, par sainte charité. Donques me fetes herbergier. Ja n'ariez vos que mengier. Dites moi donc, n'avez vos qoi ? Renart respont, ouil par foi. Or me lessiez dont demander, Venistes vos por truander ? Nenil, ainz ving veoir vostre estre. Renart respont, ce ne puet estre. Et porqoi dont, ce dist li leus ? Et dist Renart, n'est ore leus. Or me dites, mengiez vos char ? Ce dist Renart, ce est eschar Que menguent donc vostre moine ? Je vos diré sanz nule essoine. Ne menjuent fromages mos, Mes poisson qui est cras et gros, Saint Beneoist le nos conmande Que nos n'aion peor viande. Dist Ysengrin, ne m'en gardoie, Ne de tot ce mot n'en savoie; Mes car me fetes osteler, Huimés ne saroie ou aler. Renart respont, mes ne le dites, Nus, s'il n'est moines ou hermites, Ne puet ceenz avoir ostel, Mes alez outre, il n'i a el. |
Traductions à confirmer:
ReplyDelete1. (v. 878) "font moult grant ator" = "prennent grand soin" ?
2. (v. 936) "soufrez" = "attendez" ?
3. (v. 942) "Ja, se Dieu plet, n'en mentiron" = "Et déplaise à Dieu si je mens" ?
4. (v. 953) "veoir vostre estre" = "vous rendre visite" ? "voir comment vous allez" ?
5. (v. 956) "n'est ore leus" = "Ce n'est pas le moment" ? "Ce n'est ni le moment ni l'endroit" ?
6. (v. 963) "nos conmande" = "nous recommande" ? "nous ordonne" ?
7. (v .969) "mes ne le dites" = "Ne m'en parlez pas" ?
8. (v. 972) "il n'i a el" = "il n'en va pas autrement" ?