Friday, November 28, 2008

Le poisson des charretiers : Renart s'échappe



Après avoir fait son saut



pres qant il ot fet son saut,
Renart dit aux marchands : « Que Dieu vous préserve;
ces chapelets d'anguilles sont à moi,
et le reste est à vous. »
Quant les marchands entendent ça
ils en sont tout ébahis,
ils s'écrient : « Regarde le goupil ! »
Ils sautent dans la charrette
où ils pensent prendre Renart
mais celui-ci n'a pas voulu les attendre.
Le premier dit, en regardant autour de lui :
« Que Dieu me vienne en aide ! nous avons
manqué de vigilance, il me semble. »
Tous deux se frappent les paumes :
« Hélas !, dit-l'autre, quel grand dommage
avons-nous subi par notre faute !
Nous avons été sots et étourdis
tous les deux d'avoir cru Renart.
Il a bien soupesé les paniers
et les a également bien allégés,
car il a emporté deux grandes anguilles.
Qu'une sale colique lui torde les boyaux ! »
« Hélas !, font les marchands, Renart,
vous êtes vraiment de mauvaise engeance;
qu'elles puissent vous faire bien du mal ! »
Renart leur dit en retour :
« Vous direz ce qui vous plaira,
Je suis Renart, et sur ce je me tairai. »
Les marchands lui courent après,
mais ils ne l'attraperont pas aujourd'hui,
car sa monture est trop rapide.
Il ne s'arrête même pas au milieu du vallon
et continue jusqu'à à son enclos.
Alors les marchands le laissent,
ils se sentent comme deux malheureux idiots,
s'avouant vaincus, ils s'en retournent.
Celui-ci continue d'un pas rapide,
lui qui s'est sorti de tant de mauvais pas,
et arrive tout droit vers son logis
où l'attend sa maisonnée.
Sa femme, Hermeline, dame sage
qui est si courtoise et si noble,
se jette à sa rencontre.
Puis, Percehaie et Malebranche
les deux frères,
se lèvent à l'arrivée de leur père,
qui arrive par petits bonds,
gros et rassasié, joyeux et content,
les anguilles autour de son cou.
Et quand bien même quiconque le prenne pour fou,
il ferme la porte derrière lui
à cause des anguilles qu'il rapporte.


828



832



836



840



844



848



852



856



860



864



868



872



876
As marcheanz dist, Diex vos saut;
Cil hardel d'anguilles sont nostre,
Et li remanant si est vostre.
Et qant li marcheant l'oïrent,
A merveilles s'en esbaïrent,
Si escrient, vez le gorpil.
Cil saillirent au charretil
Ou il cuiderent Renart prendre,
Mes il ne volt pas tant atendre.
Li premier dist, qant se regarde,
Si m'aïst Diex, mauvese garde
En avomes pris, ce me semble.
Tuit fierent lor paumes ensemble,
Las ! dist li uns, con grant domage
Avons eü par nostre outrage !
Moult estion fol et musart
Trestuit qui creïon Renart.
Les paniers a bien soufaichiez,
Si les a auques alegiez,
Que deus granz anguilles enporte :
La male passion le torde !
La ! font li marcheant, Renart,
Moult par estes de male part :
Mau bien vos puissent eles fere !
Et Renart li prist a retrere,
Vos direz ce qu'il vos plera,
Je sui Renart qui s'en taira.
Li marcheant vont apres lui,
Mes il nel bailleront mes hui,
Car il ot trop ignel cheval.
Ainz ne fina parmi un val
Tant que il vint a son plaissié.
Lors l'ont li marcheant lessié
Qui por mauves musart se tienent,
Recreant sont et si s'en vienent,
Et cil s'en va plus que le pas,
Qui passé ot maint mauves pas,
Et vint a son ostel tout droit
Ou sa mesnie l'atendoit.
Encontre lui sailli sa fame
Hermeline la preude dame,
Qui moult estoit cortoise et franche,
Et Percehaie et Malebranche
Qui estoient ambedui frere.
Cil se lievent contre lor pere
Qui s'en venoit les menuz sauz,
Gros et saous et liez et bauz,
Les anguilles entor son col;
Mes qui que le tiegne por fol,
Apres lui a close la porte
Por les anguilles qu'il enporte.
Comment Renart mangea le poisson des charretiers
Si conme Renart manja le poisson aus charretiers (2)

825-864 : Méon 863-902, Martin III 111-150, FHS 825-864
ignorés : Méon 903-904, Martin III 151-152
865-876 : Méon 905-916, Martin III 153-164, FHS 865-876
Afficher les corrections

1 comment:

  1. Traductions à confirmer:
    1. (v. 830) "A merveilles s'en esbaïrent" = "ils en sont tout ébahis" ?
    2. (v. 835) "qant se regarde" = "en regardant autour de lui" ?
    3. (v. 840) "par nostre outrage" = "par notre faute" ?
    4. (v. 848) "de male part" = "de mauvaise engeance" ?
    5. (v. 874) "Mes qui que le tiegne por fol" = "Et quand bien même quiconque le prenne pour fou" ?

    ReplyDelete