où le doux temps de l'été prend fin et la saison de l'hiver revient. Renart est dans sa maison. Il a consommé toutes ses provisions, c'est une cruelle déconvenue. Il n'a rien à donner, ni à dépenser, il ne peut même pas rembourser ses dettes, il n'a rien à vendre, ni de quoi acheter, il n'a plus de quoi se réconforter. Par nécessité il se met en route, sans bruit afin que nul ne le voie, il s'en va à travers une jonchère entre le bois et la rivière. Il a tellement cherché et marché qu'il arrive sur un chemin empierré. Renart s'accroupit sur le chemin et tourne la tête de tous les côtés, il ne sait où trouver des provisions, et la faim le tiraille en permanence. Il ne sait quoi faire, il s'inquiète beaucoup. Alors il se couche le long d'une haie et attend ici sa fortune. Voici qu'arrivent à grande allure des marchands qui transportent du poisson; ils viennent du coté de la mer. Ils ont des harengs frais en abondance car la bise avait soufflé presque tout le long de la semaine. Ils ont aussi des bons poissons d'autres sortes en quantité, des gros et des petits, dont leurs paniers sont bien remplis. Ils ont acheté dans les villes autant de lamproies que d'anguilles, la charrette est bien chargée. Et Renart qui trompe tout le monde est éloigné d'eux d'environ une portée d'arc, quand il voit la charrette chargée d'anguilles et de lamproies. S'enfonçant et se cachant parmi les haies il court au devant pour les tromper, avant qu'ils ne puissent s'en apercevoir. Il se couche alors au milieu de la route. Écoutez maintenant comment il les a eus. Il se vautre dans l'herbe et fait le mort. Renart qui trompe tout le monde, ferme les yeux, montre les dents en grimaçant, puis retient son souffle. Avez-vous déjà entendu parler d'une telle traitrise ? Il reste là étendu. Et voilà les marchands qui ne se doutent de rien. Le premier le voit, l'observe, puis interpelle son compagnon : « Regarde là un goupil ou un blaireau. » L'autre le voit et s'écrit : « C'est un goupil, va, attrape-le, va ! Fils de pute, prends garde qu'il ne t'échappe ! C'est vraiment qu'il en saura beaucoup en ruse, ce Renart, s'il n'y laisse pas la peau. » Le marchand court de toutes ses forces, et son compagnon le suit. Quand ils sont près de Renart, il trouve le goupil à la renverse. Il le retourne dans tous les sens, il lui pince le cou, puis les côtes, il n'ont pas peur d'un tel hôte. L'un d'eux dit : « Il vaut quatre sous. » L'autre répond : « Il en vaut bien plus, au contraire il vaut cinq sous et c'est bon marché. Nous ne sommes pas trop chargés, jetons-le dans notre charrette. Regarde comme il a la gorge blanche et nette. » | 712
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784 | Que li doz tens d'esté define Et yver revient en saison, Que Renart fu en sa maison. Sa garison a despendue, Ce fu mortel desconvenue : N'ot que doner ne que despendre, Ne ses detes ne pouet rendre; N'a que vendre ne qu'acheter, Ne s'a de coi reconforter. Par besoing s'est mis a la voie, Tot coiement que nus nel voie S'en vet parmi une jonchiere Entre le bois et la riviere. A tant fet et tant a alé, Qu'il entre en un chemin ferré : El chemin se croupi Renarz, Si coloie de toutes parz; Ne set sa garison ou querre, Et la fain li fet sovent guerre, Ne set que fere, si s'esmaie. Lors s'est couchiez lez une haie, Ilec atendra aventure. Atant ez vos grant aleüre Marcheanz qui poisson menoient, Et qui devers la mer venoient. Harenz fres orent a plenté, Que bise avoit auques venté Trestoute la semaine entiere; Et bons poissons d'autre maniere Orent assez granz et petiz Dont lor paniers furent garniz. Que de lamproies que d'anguilles Qu'il orent acheté as villes Bien fu chargie la charrete. Et Renart qui le monde abete, Fu bien loing d'eus pres d'une archie, Qant vit la charrete chargie Des anguilles et des lamproies. Fichant muçant par mi ces haies Cort au devant por els deçoivre, Ainz ne s'en porent aparçoivre. Lors s'est couchiez enmi la voie : Or oez conment les desvoie. En un gason s'est touoilliez Et conme mort apareilliez Renart qui tot le mont engingne, Les eulz clot et les denz rechingne, Si tenoit s'alaine en prison. Oïstes mes tel traïson ? Illeques est remés gesanz. Atant es vos les marcheanz, De ce ne se prenoient garde. Le premier le vit, si l'esgarde, Si apela son compaignon, Vez la ou gorpil ou tesson. Li uns le voit, si s'escria, C'est un gorpil, va, sel pren, va, Filz a putain, gart ne t'eschat. Or saura il trop de barat Renart s'il ne lesse l'escorce. Li marcheant d'aler s'esforce, Et ses conpains venoit apres. Qant il furent de Renart pres, Le gorpil trovent enversé, De toutes parz l'ont reversé, Pincent le col et puis la coste, Il n'ont pas peor de tel oste. Li uns a dit, quatre sols vaut, Li autre a dit, assez plus vaut, Ainz valt cinc sols a bon marchié. Ne somes mie trop chargié, Jetons le en nostre charete; Vez con la gorge a blanche et nete. |